• La marée. Mise à nue

     

    Que souhaite-t-il donc ?

              En déposant sa plaque de cuivre vernie parmi les rochers, avant tout,  il  souhaita…retrouver l’objet ! Aussi, l’amarra-t-il aux quatre coins percés à l’aide de crochets et de cordages noués aux rochers les plus lourds.

     

    En réalité, c’était sa seule crainte, constater le naufrage de la plaque, non pour la perte du rectangle de métal mais pour la disparition de l’image, de l’empreinte  creusée par la nuit de flux et de reflux, par la force des vagues et le souffle de l’écume, le déferlement des galets, le fracas des coquilla ges, la  trombe des algues que le déluge de la marée montante ne  manquerait pas de déchainer sur la surface sensible .  

     

    Perdre la force des courants, la geste héroïque de la masse  liquide colossa le, prodigieuse, t itanesque qui bouleverse tout sur son passage.

    Perdre l’énergie invisible qui broie sel, sable  et milliards de particules. Perdre le lessivage volcanique, sous la surface de l’eau, dans l’épaisseur chtonienne qui bouscule, arr ache, cogne, foule, brise, déchire, racle, étrille, frictionne, délaye , coupe, balaye, diss out,
    entame, percute, écorche, lacère, rosse, foulonne, cotit, aplatit, bigorne, dissout, morcèle, comminue, balafre,… 

     

     

    Le naïf ! Ce qui devait arriver, arriva !

    Le naïf, l’orgueilleux, le paresseux qui s’adresse à la mer et lui dit : «  Dessine-moi ton portrait » !

    Certes la plaque était en bonne place, toujours arrimée, ni retournée ni renversée, comme déposée avec soin sur le lit où on l’avait laissée.

    La mer avait fait place nette : le rectangle de cuivre, à peine voilé de sel, brillait. Nul dépôt d’empreinte grattelée ou poncée ou lustrée ou léchée ou brunie ou griffée ou éraflée ou polie ou caressée. Le vernis avait disparu. Entièrement. La marée avait effacé, d’un coup de chiffon, le tableau, avec délicatesse, sans laisser la moindre trace.

    Une petite éraflure, non ! Une minuscule égratignure : aucune ! Le métal était nu, propre, vide…. Sa surface contenait le reflet rouge du visage d’un plasticien. Red i Merde.

                                                                                                                           Philippe Dessein

     

    La mer grave